Le débat actuel pour ou contre l’uniforme masque le vrai sujet. Gommer les différences sous des uniformes ne les fera pas disparaître.
Nous sommes tous et toutes uniques, tant dans nos aspects physiques que dans nos aspects cognitifs. Nous sommes tous différents. Il est peut-être temps de l’accepter comme un simple fait scientifique (1) et d’intégrer cela pleinement à nos stratégies éducatives.
Le système éducatif est fondé sur l’hypothèse que « Tout le monde peut devenir bon dans presque toutes les matières en travaillant bien » & son corolaire « les meilleures chances de développement des élèves résident dans les matières où ils excellent le moins ».
Et si nous fondions le système éducatif sur l’hypothèse que « Tout le monde est unique et a des aptitudes cognitives spécifiques » et son corolaire « Les meilleures chances de développement de chaque élève réside dans les domaines où il possède les meilleurs atouts » ?
12 millions d’élèves, 12 millions de profils cognitifs
Si l’on considère, par exemple, nos cerveaux, ils ont tous la même forme et la même organisation pourtant vu de plus près, ils sont tous différents, même ceux des vrais jumeaux n’auront, ni les mêmes plis, ni les mêmes sillons.
Sur une simple tâche, comme appuyer sur un bouton, la même zone motrice « s’allume » d’un cerveau à l’autre mais pas de la même façon, ni avec la même intensité. Et plus la tâche est complexe, plus chaque cerveau va réagir différemment.
Vouloir normer les façons de faire peut-être rassurant de prime abord, mais se révèle vite contre-productif. Dans le domaine de l’éducation comme ailleurs.
Nous avons tous une combinaison unique de talents naturels (2), d’aptitudes cognitives, qui nous rendent uniques et naturellement doués pour toute une série de tâches. Il est dommage de ne pas les mettre au cœur de nos stratégies éducatives.
À la recherche de l’élève parfait
Prenons un élève au hasard que nous appellerons « Kévin » (3), et imaginons qu’il revient du collège avec un 5/20 en maths, un 20/20 en dessin et la mention « Encore trop de bavardages » dans son cahier de liaison.
Il y a fort à parier que cela peut susciter la réaction suivante de ses parents :
« 5/20 en maths, c’est nul ! Les maths sont clefs pour ton futur, tu dois travailler cela en priorité. Tu vas consacrer plus de temps aux maths les soirs et s’il le faut, tu auras des cours de soutien. Et cet été, c’est une heure de cahier de vacances tous les matins !
Et puis combien de fois t’ai-je dit d’arrêter de bavarder ? Ce n’est pas un comportement admissible en classe. Je compte sur toi pour arrêter ces bavardages et te tenir enfin tranquille en classe.
Le dessin je ne t’en parle pas, il n’y a pas de problème, tu as 20/20, c’est parfait. »
Rêvons un peu
Les mêmes notes et mention dans le carnet de correspondance pourraient donner lieu à une réaction fort différente, si nous rêvions un peu :
« Bravo Kévin ! Tu es doué en dessin ! As-tu tout ce dont tu as besoin pour développer ton talent ? Le bon matériel ? Assez de temps ? Assez de sources d’inspiration ? Souhaites-tu participer à un stage de manga cet été ou visiter le Louvre ?
Pour le bavardage, cela empêche tout le monde de se concentrer. Il faut faire attention à ton talent de communication, il t’aide à formuler des messages impactants, mais il te faut garder en tête que mal que maîtrisé il peut être agaçant. J’ai quelques astuces pour mieux le gérer, comme téléphoner à tes amis ou grands-parents pour leur raconter ta journée ou être volontaire pour être délégué de classe ou faire plus d’exposés, t’inscrire dans un club d’éloquence ou de théâtre d’improvisation et ainsi avoir plus d’occasion de parler dans la journée et de « dépenser ton quota de mots » à bon escient.
5/20 en maths, c’est un problème à gérer, cela peut te fermer des portes. Identifions les astuces et les partenariats possibles pour gérer cela et remonter un peu ta moyenne. Tu as par exemple une excellente mémoire qui te permet de connaître le nom de centaines de pokémons par cœur. Tu pourrais utiliser cette bonne mémoire et apprendre par cœur toutes les définitions et les exercices de bases ? Tu aimes faire des to do list et finir les tâches, tu aurais plus d’énergie en découpant tes devoirs en petits bouts et en cochant à chaque fois que tu en as terminé un. Ton amie Joséphine (4) est douée en maths, elle pourrait peut-être te donner un coup de main. Tu pourrais l’aider en dessin en retour.»
Changer de paradigme : pas la perfection, mais l’excellence
Dans le système classique d’éducation, on recherche la perfection. Comme dans l’exemple précédent, on identifie ce qui est trop ou pas assez en comparant l’élève réel à l’élève parfait. Puis, l’investissement est porté dans les zones de moindre performance pour essayer d’arriver à la perfection, tout en tentant de gommer les comportements jugés excessifs, notamment par rapport au groupe.
Dans un système acceptant que nous sommes tous différents, la recherche d’excellence sera plus utile. L’idée est d’identifier ce que chaque individu fait naturellement bien et sa combinaison unique de talents. Dans ce système, on investit sur ce que l’on fait naturellement bien pour maîtriser ses talents et les faire grandir, on développe sur cette base de nouvelles compétences. On se préoccupe de ses points faibles uniquement s’ils posent problèmes.
Des performances démultipliées
Il y a de nombreux exemples montrant combien investir sur ses points forts et les travailler induit une performance exceptionnelle.
Un exemple frappant est celui du championnat du monde de Scrabble.
En 2015, le champion du monde de Scrabble francophone ne parlait pas français (5).
Oui, vous avez bien lu. Il était champion du monde de Scrabble dans une langue qu’il ne parlait pas.
Il était déjà champion du monde dans sa langue maternelle mais comme il s’ennuyait un peu … en 9 semaines, il a mémorisé le dictionnaire français (Plus précisément l’Officiel du Scrabble, soit une soixantaine de milliers de mots, et plus de 300 000 déclinaisons. ) et il a gagné le championnat.
Il est doué d’une bonne mémoire, il l’a travaillée, et il peut désormais faire des exploits sortant de l’ordinaire.
Tous les talents, une fois travaillés et maîtrisés, donnent des résultats qui sortent de l’ordinaire.
Les entreprises pionnières dans l’adoption de ce type d’approches ont pu le constater de façon concrète (6).
Confiance en soi
Un des bénéfices importants de ce changement d’approche est qu’il suscite une plus grande confiance en soi. Découvrir son unicité, et comment fonctionnent ses talents, permet de mieux comprendre sa valeur intrinsèque.
J’ai encore eu le plaisir cette semaine de travailler avec deux jeunes sportifs de haut niveau et leur entraîneur fédéral dans le cadre d’une expérimentation. Quel plaisir de les voir découvrir leurs talents et de découvrir que, ce qu’ils avaient considéré jusque-là comme des défauts, étaient en fait des talents qui n’attendaient que d’être maîtrisés, de véritables atouts au service de leur performance sportive, mais également de leur scolarité et leurs projets.
Nous avons tous des talents nombreux et utiles qui n’attendent que d’être identifiés et utilisés. Quand nous les utilisons, la motivation est plus grande, l’implication plus facile. La confiance en soi grandit pour les élèves.
Unicité et coopération
Tous différents, nous sommes ainsi, aussi, tous complémentaires.
Un autre bénéfice important de cette approche est de mieux comprendre la complémentarité humaine et de favoriser la coopération, l’entraide. Nous ne possédons chacun qu’une partie des talents naturels présents à l’échelle de l’espèce humaine. Mieux comprendre sa contribution unique au fonctionnement collectif, c’est également plus facilement identifier les talents que nous ne possédons pas et les partenariats fructueux à rechercher.
Kévin & Joséphine
Aujourd’hui, l’élève parfait, est celui qui est bon en maths, sage en classe, et qui fait seul ses devoirs en autonomie. Il est érigé en modèle unique que tout élève est prié d’accepter comme seul idéal.
Dans mon exemple, Joséphine aidait Kévin en maths, et Kevin aidait Joséphine en dessin. Tous les deux uniques, tous les deux talentueux, et demain peut-être statistiquement moins éloignés dans leurs résultats du bac (7).
Je terminerai par cette simple question.
Maintenant que vous avez lu cet article, si Kévin s’appelait Michel Ange ou Kandinsky, et que ses parents lui avait dit « Le dessin je ne t’en parle pas, il n’y a pas de problème, tu as 20/20. Le sujet c’est les maths, c’est à cela qu’il faut consacrer tes efforts, y consacrer du temps … », qu’en penseriez-vous ?
- La notion d’unicité humaine et les limites du concept de perfection ont été abordées dans les articles précédents de la rubrique facteur humain d’Atlantico, vous pouvez par exemple consulter https://atlantico.fr/article/rdv/tuer-la-perfection-avant-qu-elle-ne-nous-tue-summer-body-facteur-humain-anne-weber
- Un talent est une aptitude naturelle humaine à percevoir, agir, penser, influer, interagir, qui, appliquée de façon productive, procure du plaisir et de la performance. Chaque individu possède une combinaison unique de talents. Définition Anne WEBER 2013 (Évolution de celle de Markus Buckingham & Vosburgh de 2001 telle que citée dans l’ouvrage de Pierre-Michel Menger Le talent en débat). Cette unicité est au cœur de nos incompréhensions interpersonnelles au quotidien.
- J’ai retenu le prénom Kevin après avoir lu les travaux de Baptiste Coulmont qui est sociologue, professeur à l’École normale supérieure Paris Saclay et chercheur à l’Institut des sciences sociales du politique. Il a analysé, de 2012 à 2020, les résultats du bac en fonction des prénoms et le prénom Kévin est statistiquement le prénom majoritaire des candidats ayant eu les plus mauvais résultats au baccalauréat. Si cela vous intéresse, il a notamment écrit Sociologie des prénoms, aux éditions La Découverte, qui synthétise une trentaine d’années de travaux de sciences sociales sur les prénoms. Ce livre peut vous aider à comprendre pourquoi les « Léa » de maintenant seront, demain, les « Mauricette » d’aujourd’hui. Et si vous êtes curieux et souhaitez savoir comment se répartissent les résultats au bac des personnes qui portent votre prénom ? RDV sur le site https://coulmont.com/bac/
- Joséphine, Adèle et Anouk. Si vous portez un de ces prénoms, vous faites partie du top 3 des candidats qui ont obtenu la plus forte proportion de mentions « Très bien » au baccalauréat en 2020. Toujours selon les recherches de Baptiste Coulmont.
- https://information.tv5monde.com/culture/champion-du-monde-de-scrabble-francophone-il-ne-parle-pas-francais-23465
- Voir par exemple sur le sujet la formation en ligne gratuite de la Banque Publique d’Investissement « L’entreprise talentueuse, un modèle où l’humain devient levier de performance » comprenant de nombreux exemples concrets et un support de cours à télécharger : https://www.bpifrance-universite.fr/formation/lentreprise-talentueuse-un-modele-ou-lhumain-devient-levier-de-performance/