Avec l’arrivée du froid nous allons être tentés de refermer les fenêtres et de nous calfeutrer bien au chaud. D’autant qu’avec la hausse du prix de l’énergie, ménages comme entreprises, vont y réfléchir à deux fois avant de ventiler les locaux en période hivernale.
Cela semble une bonne source d’économies. Mais dans des bâtiments mal conçus en termes de qualité de l’air intérieur, cela a coût humain potentiellement grave : des travailleurs souffrant de migraines chroniques, de nausées, de fatigue et de difficultés à se concentrer.
Heureusement, ces effets secondaires peuvent être évités.
85% de notre temps en intérieur
Que ce soit à notre domicile, au bureau, à l’école, ou dans les transports, nous passons en moyenne 85% de notre temps dans des espaces clos(90% pour les Américains) ! La qualité de l’air intérieur est à ce titre une vraie préoccupation de santé publique.
Quand on parle qualité de l’air intérieur, on a généralement en tête le fait de devoir limiter les sources de pollution chimique, comme la colle provenant de certains meubles, les moisissures ou champignons. La ventilation des bâtiments n’est que peu souvent mentionnée alors qu’elle est tout autant critique. Une mauvaise ventilation a un impact direct sur la transmission de maladies, mais aussi notre bien-être et notre performance.
Des mesures simples, comme ouvrir plus souvent les fenêtres, peuvent simplement y remédier.
Apprendre en s’amusant
J’ai eu la chance à la fin des années 90 de travailler au cabinet de Philippe Richert qui était alors sénateur et président du Conseil général du Bas-Rhin et très engagé sur les questions environnementales, dont celle de la qualité de l’air (1). J’avais dans mes attributions notamment les dossiers Universités Recherches et la direction d’un projet de création de centre de vulgarisation scientifique pour enfants et adolescents à Strasbourg. C’est à cette occasion que je me suis penchée pour la première fois sur la question de la qualité de l’air. Plus précisément sur l’impact de la qualité de l’air sur le fonctionnement cognitif.
Le slogan du centre de sciences était « apprendre les sciences en s’amusant ». Et pour tenir cette promesse nous avions mis à plat l’ensemble des facteurs pouvant concourir à un meilleur apprentissage. La qualité de l’air dans le bâtiment figurait en bonne place.
Les études scientifiques commençaient à indiquer que la qualité de l’air avait un impact direct sur la qualité des apprentissages scolaires.
Nous en avons tenu compte aussi bien dans la qualité du système de renouvèlement d’air que dans ses réglages au quotidien. Ayant poursuivi ma carrière comme directeur général adjoint en charge des grands projets dans une grande agglomération et notamment piloté un projet de campus universitaire, j’ai continué à approfondir le sujet.
L’impact cognitif est scientifiquement établi.
En 2015, à la création de mon cabinet de conseil, nous avons naturellement intégré la qualité de l’air comme une composante de la performance cognitive de nos clients et souvent transmis une étude américaine de 2015 conduite par Joseph Allen baptisée « CogFX » (ie diminutif pour fonctions cognitives) solide sur le sujet (2).
Joseph Allen, surnommé « The Air Investigator »(3) dirige un important projet de recherche en santé publique à l’université de Harvard, qui vise à déterminer comment la qualité de l’air intérieur affecte la santé et la cognition humaines. Il conseille les entreprises en matière de ventilation et de filtration de l’air et, pendant la pandémie, il est devenu un éminent porte-parole de la santé publique.
En 2015, Joseph Allen et son équipe, ont publié une étude en deux parties qui quantifie les avantages cognitifs de l’amélioration des conditions environnementales pour les travailleurs.
La première phase s’est déroulée à l’université de Syracuse, dans des espaces recrées pour l’occasion, avec des participants de professions dites « intellectuelles » comme des architectes ou des ingénieurs. Ils ont effectué pendant les journées leurs tâches habituelles tandis qu’Allen et son équipe manipulaient les facteurs environnementaux.
« Nous ne cherchions pas à tester un lieu de travail inaccessible et rêvé. Nous voulions tester des scénarios et des conditions qu’il serait possible de reproduire », explique-t-il. Ils ont ajusté les taux de ventilation, les niveaux de dioxyde de carbone et la quantité de COV en suspension dans l’air (composés chimiques organiques volatils émis par des objets courants tels que les chaises de bureau et les tableaux blancs).
À la fin de chaque journée, l’équipe a demandé aux travailleurs d’effectuer des évaluations des fonctions cognitives dans neuf domaines clés, dont la réponse aux crises, la prise de décision et la stratégie.
Des effets spectaculaires
« Nous avons constaté des effets assez spectaculaires », rapporte-t-il : les travailleurs évoluant dans des environnements optimisés ont obtenu des résultats supérieurs de 131 % aux questions de réponse aux situations de crise, de 299 % à l’utilisation de l’information et de 288 % à la stratégie.
Dans la deuxième partie de l’étude, l’équipe a testé les conditions existantes dans 10 bâtiments certifiés écologiques et très performants au niveau national aux États-Unis.
Les résultats ont confirmé les premières conclusions et mis en évidence que dans ces espaces écologiques les travailleurs ont obtenu des résultats supérieurs de 26 % aux évaluations des fonctions cognitives par rapport à ceux des bâtiments non certifiés, et les occupants ont bénéficié d’une augmentation de 25 % des scores de sommeil grâce à un meilleur éclairage et à des conditions thermiques optimales.
De nombreuses études ont depuis confirmé la corrélation entre les facteurs environnementaux et les performances sur le lieu de travail (3).
Le sujet est plutôt maintenant du côté des pouvoirs publics et des constructeurs et gestionnaires de bâtiments.
Le focus est souvent mis sur les coûts de chauffage et de climatisation, sans toujours prendre en compte les coûts liés à l’impact sur la santé, le bien-être et la performance.
La bonne nouvelle est qu’il est possible d’avoir des bâtiments à la fois efficaces sur le plan énergétique et sains. Et que cela ne coûte pas forcément au global.
Pour aider à cette prise de conscience et à la mise en œuvre concrète de mesures permettant d’avoir des bâtiments plus sains, l’équipe de Joseph Allen a continué à mesurer les impacts en termes de coûts.
Il met souvent en avant dans ses conférences 2 chiffres intéressants :
Le premier est le coût lié à l’augmentation de la ventilation pour permettre d’avoir un air sain dans les bâtiments qui peut représenter entre 10 et 40$ par personne et par an.
Le 2e chiffre, à mettre en regard du premier, est celui de 7000$ de gains, toujours par personne et par an, sur le budget ressources humaines lié à la diminution de l’absentéisme et des symptômes liés a une qualité de l’air médiocre comme les maux de tête et la fatigue.
En France, si la réglementation sur la qualité de l’air et notamment de la ventilation est très précise pour les entreprises, et plus généralement pour les bâtiments recevant du public (3), les réalités au quotidien sont très différentes d’un lieu à l’autre. Que ce soit en termes d’installation ou de réglage du système de ventilation.
Et dans le cadre des arbitrages budgétaires à venir au niveau de l’État et des collectivités locales, il sera important de rappeler l’ensemble des économies pouvant être réalisées une fois les locaux correctement ventilés, tant en termes de santé publique que de qualité d’apprentissage ou d’augmentation de la productivité. Et ce sans commune mesure avec les coûts investis.
Pandémie et mesure de l’air
Tout ne dépend pas des entreprises ou des pouvoirs publics. Il est possible d’avoir quelques réflexes utiles en tête.
La pandémie a eu en cela un effet intéressant. Le virus du COVID ayant une transmission principalement aérosol, un éclairage spécifique a été mis sur la question de la qualité de l’air, en permettant la démocratisation de sa mesure.
Ceci, grâce à la mise sur le marché de petits boitiers fiables, transportables et à prix raisonnables permettant son évaluation à tous moments.
Ce boitier m’a servi au début principalement à m’assurer de la qualité de l’air au niveau professionnel. Il était intéressant de constater combien les premiers signaux de baisse de l’attention étaient quasiment toujours corrélés à une baisse de la qualité de l’air, et non au déjeuner copieux des participants ou à une intervention moins intéressante.
Ouvrir les fenêtres permettait presque toujours de retrouver une qualité d’attention et de raisonnement en quelques minutes.
Mesures tous azimuts
Ayant sur moi le boitier de mesure quand je me déplaçais professionnellement, je me suis mise à mesurer un peu tous azimuts. Avec des résultats intéressants et pour certains surprenants pour notre vie quotidienne.
Mes premières mesures ont eu lieu dans ma cuisine.
Si comme mon mari ou moi, vous avez un emploi du temps un peu chargé, il vous est sûrement arrivé de surveiller les devoirs le week-end dans la cuisine en même temps que vous faisiez à manger.
Et peut-être avez-vous constaté qu’au bout d’un moment vos enfants piquent du nez, sont moins concentrés et n’arrivent plus à faire certains exercices pourtant basiques ?
C’est normal, entre la gazinière, l’eau qui boue et le nombre de personne dans la pièce, la qualité de l’air a peut-être drastiquement chuté dans la cuisine.
Essayez d’ouvrir les fenêtres, et vous aurez peut-être la même surprise que nous, de constater qu’après aération les capacités cognitives de vos enfants sont revenues à un niveau normal, et les exercices de maths semblent beaucoup plus faciles.
Les apparences peuvent être trompeuses
Des pièces complètement fermées et sans ouvertures sur l’extérieur peuvent avoir une bonne qualité d’air. J’ai pu le constater à de nombreuses reprises dans les locaux de nos clients ou dans les expositions de la Cité des Sciences par exemple, quand le système de ventilation fonctionne bien, qu’il est réglé sur un circuit régulier et avec un grand renouvellement d’air, il n’y a aucun problème particulier à se retrouver nombreux dans une même pièce.
A contrario, un café quasi vide peut lui avoir, si mal aéré, un air de très mauvaise qualité. Et cela vaut pour beaucoup de lieux forts différents.
En plein été, par exemple, alors que l’on vit dehors, on ne se rend pas forcément compte que les toilettes du restaurant de plage sont un lieu très confiné qui, faute d’aération, est un véritable paradis pour les virus de type COVID.
Des signes qui ne trompent pas
Alors quand aérer ? Si vous n’avez pas d’indication de la qualité de l’air à disposition, vous pouvez vous fier à votre état général.
Si vous commencer à être moins productif, à avoir les idées moins claires, à être fatiguée ou irritable, peut-être est-ce en lien avec la qualité de l’air que vous respirez. Dans ce cas, il est utile de ventiler.
Ouvrir la fenêtre ou regarder Netflix
Si ce n’est pas possible, car vous êtes par exemple dans le TGV (6), vous pouvez toujours adapter votre comportement et avoir une activité demandant moins de bande passante comme écouter de la musique ou regarder Netflix, et surtout, surtout, ne prendre aucune décision que vous pourriez regretter dès la descente du train, une fois l’air frais retrouvé.
- Il a co-écrit le livre la ville à bout de souffle et a notamment été Président du Conseil national de l’Air
- Associations of Cognitive Function Scores with Carbon Dioxide, Ventilation, and Volatile Organic Compound Exposures in Office Workers: A Controlled Exposure Study of Green and Conventional Office Environments October 2015 Joseph G. Allen, Piers MacNaughton, Usha Satish, Suresh Santanam, Jose Vallarino, and John D. Spengler. Pour y accéder gratuitement https://www.researchgate.net/publication/283236205_Associations_of_Cognitive_Function_Scores_with_Carbon_Dioxide_Ventilation_and_Volatile_Organic_Compound_Exposures_in_Office_Workers_A_Controlled_Exposure_Study_of_Green_and_Conventional_Office_Environ. En complément voici plusieurs liens : https://forhealth.org Le centre de ressources de l’école de santé publique de Harvard sur les recherches concernant les bâtiments et la santé publique. https://9foundations.forhealth.org/ pour télécharger gratuitement le rapport “The 9 foundations of a healthy building” qui donne une vision synthétique (en anglais) de la recherche en la matière. https://forhealth.org/wp-content/uploads/2022/11/Harvard-Healthy-Buildings_Flyer.pdf Et le flyer résumé de deux pages. https://www.hsph.harvard.edu/joseph-allen/ le lien vers la page de Joseph Allen sur le site de l’école de santé publique de l’école de Harvard
- Pour son parcours détaillé voici un article complet et intéressant expliquant son surnom de « Air investigator » https://www.science.org/content/article/scientist-says-cleaning-indoor-air-could-make-us-healthier-and-smarter
- Vous pouvez par exemple utilement lire cet article de 2019 qui fait un résumé de 10 études récentes. https://www.nxtbook.com/nxtbooks/ashrae/ashraejournal_201909/index.php#/p/70
- Si vous souhaitez avoir un résumé simple et concret, le dossier de l’INRS sur la qualité de l’air intérieur au travail est à la fois accessible et très complet car après le résumé, il propose toute une série de publications d’outils et de liens pour aller plus loin incluant même par exemple un logiciel à télécharger gratuitement qui peut permettre de faire des simulations https://www.inrs.fr/risques/air-interieur/ce-qu-il-faut-retenir.html
- Vous aviez peut-être par exemple remarqué qu’il est souvent difficile de travailler efficacement dans le TGV. Les mesures que j’ai pu faire dans les TGV sont les pires du réseau SNCF. J’ai arrêté d’essayer de travailler dans les TGV, je prends directement un bon livre où je regarde un film.